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Un nouvel ordre mondial : Choc ou coexistence ?


Rédigé par Salem AlKetbi le Dimanche 2 Mai 2021



Beaucoup parlent de l’émergence d’un nouvel ordre mondial à partir de la crise provoquée par l’épidémie de COVID-19. La plupart des analystes s’accordent à dire que la Chine et la Russie joueront un rôle essentiel dans ce système. Les signes de ce système semblent se profiler à l’horizon avant même que la crise ne se résorbe, avant même qu’il y ait des signes de dénouement.

Rien ne suggère encore un recul des infections virales, ni la mise en place d’une formule de coopération internationale pour produire, distribuer et fournir des vaccins à tous les pays. Les faits confirment que le bras de fer se poursuit entre les États-Unis et certains de leurs alliés européens, d’une part, et la Chine et la Russie, d’autre part.

Le président Joe Biden a taxé son homologue russe de « criminel, » une attitude qui a surpris le Kremlin, qui a rétorqué vivement à cette insulte. Mais la Maison Blanche est rapidement revenue à la rationalité, appelant à une rencontre au sommet américano-russe dans un pays tiers.

Et ce, bien que le camp américain n’ait pas répondu à la proposition du président Poutine, en mars, d’organiser une rencontre virtuelle avec le président Biden pour discuter des problèmes bilatéraux. Si telle est l’atmosphère des relations américano-russes, les relations entre Washington et Pékin sont tout aussi tendues.

La réunion d’Anchorage en Alaska en mars, à laquelle ont participé le secrétaire d’État américain Tony Blinken et le président de la commission des affaires étrangères du Parti communiste chinois Yang Jiechi, a bien mis le doigt sur l’ampleur du fossé et la profondeur de la crise des relations entre les deux pays.

Le secrétaire d’État américain a accusé la Chine de menacer la stabilité mondiale. Le ministre chinois, quant à lui, a appelé à abandonner la « mentalité de guerre froide, » soulignant que son pays ne s’engagerait pas dans une démocratie à l’américaine. Les Chinois ont expliqué que le ton tranchant qu’ils ont adopté lors de la réunion répondait à une « attaque sans fondement contre les politiques intérieure et étrangère de la Chine, provoquant des différends. »
« Ce n’est pas la façon de traiter des invités, et ce n’est pas conforme à l’étiquette et aux protocoles diplomatiques. » Les États-Unis ne sont pas en position de faire la leçon à la Chine et le peuple chinois ne tolérera pas ça, a lancé le négociateur en chef chinois Yang Jiechi. Nous sommes deux grands pays dans le monde et nous devons éviter la confrontation, a-t-il ajouté. « Les États-Unis devraient cesser leur ingérence dans les affaires intérieures de la Chine. »

« Nous ne cherchons pas le conflit, mais nous accueillons favorablement la concurrence acharnée, et nous défendrons toujours nos principes, notre peuple et nos amis » a pour sa part déclaré le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, au début des discussions avec ses homologues chinois. Ces mots n’ont pas réussi à absorber la colère chinoise, car ils n’ont pas nié la quête par les États-Unis d’imposer leur modèle de valeur sur le dragon chinois.

L’administration Biden considère la Chine en particulier comme la menace la plus sérieuse pour l’influence mondiale des États-Unis. Dans le document de stratégie de politique étrangère de l’administration Biden, on peut lire : « La Chine est le seul pays qui possède la puissance économique, diplomatique, militaire et technologique nécessaire pour remettre sérieusement en question le système international stable et ouvert. »

Mais personne ne peut dire que les deux forces se dirigent vers un affrontement direct. Les conditions d’un tel affrontement sont loin d’être réunies compte tenu de l’intersection et du chevauchement des intérêts stratégiques. Il est en effet difficile pour l’une des parties de remporter une victoire décisive sur l’autre sans subir de graves revers. Il est du reste difficile d’affirmer qu’il pourrait y avoir un affrontement entre les nouveaux pôles ou blocs internationaux.

Malgré les tensions accrues, les freins sont énormes. C’est notamment une question de capacités militaires de chaque côté. Celles-ci garantissent l’existence d’un équilibre de la terreur et de la dissuasion mutuelle qui rend complexe pour l’une des parties d’envisager de porter un coup à l’autre. La règle de base du gouvernement Biden en matière de politique envers la Chine est de « coopérer lorsque c’est possible, rivaliser lorsque c’est requis, confronter lorsque c’est nécessaire. »

Dans un autre ordre d’idées, la coopération stratégique croissante entre la Chine et la Russie ne signifie pas qu’elles peuvent être considérées comme un bloc à part entière ou un véritable camp anti-occidental, comme c’était le cas avec le bloc communiste pendant la guerre froide.

La Chine ne cherche pas à entrer dans ce labyrinthe, qui va à l’encontre de ses intérêts stratégiques, étant l’économie la plus influente et la plus intégrée à celle des États-Unis.
Le premier bloc militaire occidental, l’OTAN, ne voit pas la Chine comme une menace. De plus, l’alliance souffre de fissures et de craquements difficiles à traiter, comme la situation de la Turquie. Cette dernière est, de manière réaliste, sortie des calculs de l’OTAN, bien que son adhésion se poursuive. La Turquie, membre de l’OTAN et détentrice de sa deuxième plus grande armée, coopère militairement avec la Russie, que l’OTAN considère comme la principale menace.

La Grèce, membre aussi de l’OTAN, refuse également de coopérer à l’imposition de sanctions à la Chine. Il y a aussi l’Allemagne, une des grandes puissances de l’OTAN, qui a conclu des contrats à long terme pour acheter du gaz russe après la construction du gazoduc du Nord, malgré les demandes de l’UE de réduire sa dépendance de la Russie comme source d’énergie.

Certains soutiennent que le goût du pouvoir chez la Chine, le nationalisme croissant et les mauvais calculs concernant la fin de l’ère américaine et le début de la disparition de la superpuissance qui domine l’ordre mondial, tous ces facteurs peuvent inciter la Chine à accélérer l’affrontement pour prendre le leadership de l’ordre mondial.

Mais l’analyse réaliste du comportement chinois infirme complètement ces hypothèses. La Chine n’est pas pressée. Ça, même si elle fait preuve d’un sens croissant de l’autodéfense face à toute pression américaine, ou à ce que Pékin considère comme une ingérence dans ses affaires intérieures.

Les États-Unis auraient peut-être eu tort, à mon avis, de faire pression simultanément sur leurs principaux adversaires, la Chine et la Russie.

L’alliance récente entre les deux forces ne peut être comprise indépendamment de la politique américaine. Cette dernière contribue à combler les différences idéologiques et politiques entre Pékin et Moscou et les pousse à coopérer et à coordonner leurs rôles en dehors de toute idéologie. Les relations de Washington avec Pékin et Moscou sont certes bien plus importantes et sérieuses que la complexité de leur caractérisation conceptuelle.
Qu’il s’agisse d’une guerre froide ou non, cela n’enlève rien aux graves effets de tout clash ou confrontation entre les trois puissances. Les États-Unis ne se détériorent pas de la manière et au rythme que certains voudraient dépeindre en guise de vœu pieux.

La Russie, qui a remplacé l’idéologie par le nationalisme, veut reconquérir sa puissance et son rôle mondial. La Chine ne veut pas d’une confrontation qui pourrait perturber sa marche vers le rang de leader de l’ordre mondial. Elle a prouvé, lors de la crise de l’épidémie du coronavirus, sa capacité à gérer les crises.

Elle a également montré à quel point elle avait besoin d’établir la confiance mondiale dans ses capacités technologiques et scientifiques, ayant déjà atteint une supériorité remarquable dans ce domaine. Mais cette supériorité peut nécessiter du temps, que ce soit pour faire ses preuves et prendre pied ou pour répondre à la contre-propagande.

Ma conviction est que le prochain sera d’abord un conflit technologique, scientifique et économique. Pas de conflit d’idéologies, pas de course aux armements. La coexistence entre les grandes puissances est la seule voie moins coûteuse pour toutes les parties, à condition que l’on parvienne à une formule garantissant qu’il ne soit ni vaincu ni vainqueur.

Salem AlKetbi
Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral

 







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